Elle descend la rue en courant. Ses cheveux clairs et lisses, beaucoup trop clairs, beaucoup trop lisses, détachés sur sa nuque, jusqu’aux épaules, volaient au vent, devant ses yeux translucides, sa bouche épaisse et ses joues roses. Elle avait de longues jambes fines, peu couvertes comme à son habitude, sinon d’un collant en résille opaque troué qui traçait d’étranges motifs sur ses cuisses. Parfois, elle mettait des pantalons moulants, dans le même style que ses collants, toujours aussi troués. Elle portait généralement par-dessus ce collant un short ou une jupe courte. La couleur importait peu. Elle aimait mettre en valeur ses jolies jambes et sa taille fine. Bien qu’elle ne soit pas particulièrement – pas du tout - athlétique, elle mettait toujours des t-shirts un peu courts, coupés dans des tissus vaporeux.

Elle reprend son souffle, appuyée contre un mur en briques. Encore une fois en retard, mais méticuleusement maquillée. Fard à paupières et eye-liner de couleurs vives, rouge à lèvre presque aubergine. Coiffée, aussi, avant que sa course folle ne ruine tout. Elle jette un regard glacé de l’autre côté de la route de ses prunelles grises avant de se remettre en marche. C’était fou, ces yeux. Ils venaient d’ailleurs, c’était sûr. Elle se tenait toujours là, toute droite, grande et fine, attendant que le trafic ne se calme, elle remet de l’ordre dans ses cheveux coupés inégalement. Ils étaient beaucoup trop clairs, ces cheveux. C’est comme ils s’étaient délavés au fur et à mesure des lavages. Et les teintures de différentes couleurs sur la pointe de ces cheveux trop flavescents beaucoup trop blancs, comme des gouttes d’encres trop lumineuses pour un teint aussi pâle semblent prouver qu’elle n’avait pas eu d’autre choix que de peindre elle-même sa chevelure avant que celle-ci ne devienne transparente. Elle semblait les teindre différemment chaque jour. Parfois roses, parfois bleus, parfois en turquoise et en violet en même temps.

Elle refaisait les lacets de ses éternelles bottines en cuir noir, avant de se remettre en route, en ajustant son sempiternel sac, une bandoulière en cuir camel. Elle semble sourire, tout en renvoyant une certaine rigidité glacée. Fine et élancée, avec peu de formes, peu de seins, un regard froid et inquiétant, magnétisant, elle n’avait rien en elle qui donnait d’emblée confiance et poussait à l’aborder et en était parfaitement satisfaite. Elle avait dans la rue cette démarche singulière, de jeune fille toujours pressée, qui tentait de courir plus vite que le temps. Elle renvoyait une aura lumineuse, quelque chose de peu commun bien qu’elle fût simplement jolie. Quelque chose, qui derrière un physique plutôt normal, dans son style et sa façon d’être ne renvoyait pas simplement à une carrure de post-adolescente un peu négligée, qui se recherchait elle-même. Il y avait autre chose, quelque chose de plus grand, qui retenait bien plus l’attention. Peut-être quelque chose d’harmonieux avec elle-même, une harmonie parfaite entre ses yeux glacés et le mystérieux cristal luminescent qu’elle portait le long d’une chaîne dorée entre ses seins. Quelque chose d’apaisant, dans le mouvement de ses cheveux rebelles, quand on la voyait descendre la rue, quelque chose d’aérien, de calme, d’éternel…

Sa personnalité a quelque chose d’en premier lieu d’assez simpliste. Bienveillante, souriante, plutôt intelligente et vive, amicale et volontaire. C’est simple, et ce portrait bien peint lui plaît et elle s’efforce de le maintenir en place. C’est toujours plus simple. Elle ne veut pas s’attirer de problèmes. Mais Déborah, c’est une fille qui peut se définir comme quelqu’un de très idéaliste. On ne peut pas dire qu’elle ait des avis politiques, ni même la moindre idée mais elle rêve toujours d’un monde utopique plus grand et plus beau, d’un quotidien plus lumineux. Cela fait d’elle quelqu’un de très positif sur son regard sur l’avenir et même sur les choses. Elle voit toujours comment ce qui l’entoure pourrait être, passé derrière son filtre à réalité, et non comment il est. Elle est malgré tout extrêmement lucide, ce qui la pousse parfois à s’auto-dénigrer et à être très dure avec elle-même. Absolument perfectionniste, elle a toujours besoin de rêver plus grand, plus fort pour voir l’après, pour ne pas s’arrêter, pour continuer. Elle sent bien que sans cet idéal qui la pousserait à avancer, elle ne pourrait pas donner un sens à sa vie. Alors elle se construit des décors, un futur et des buts bien déterminés, des objectifs clairs et capitaux et tâtonne vers un futur indéniablement incertain, toujours comme elle le peut.
La seule chose stable, qu’elle ne peut se permettre d’idéaliser, c’est son prochain. Elle est extrêmement tournée vers l’humain. Elle poursuit une licence de sociologie et d’ethnographie Lunaire et Terrestre à Ys, et si ses projets ne l’avaient pas poussée à envisager l’arrêt de ses études très prochainement, elle aurait sûrement poursuivi une brillante carrière qui l’aurait menée à un secteur de recherche sur les sciences humaines et les relations qui régissent humains et lunariens à travers le système solaire. Peut-être que ce métier l’aurait satisfaite. Mais Déborah est atteinte d’une maladie grave, celle du voyage, une mouvance ininterrompue. Peu importe ce qu’elle devient, ce que sa vie deviendrait, tant qu’elle bouge… Elle avait besoin de rêver plus loin, ne pas suivre une voie simple, diverger, ne pas se contenter de ce qu’elle possédait et de ce qu’elle n’avait fait qu’envisager. Cet attachement fort à l’humain se traduit par une grande sociabilité. Toujours souriante, extrêmement à l’aise, elle s’assume et même si elle ne sait pas toujours quoi dire face aux autres, elle ne se laisse que peu déstabiliser par des situations imprévisibles, ou du moins en apparence.
Car il y a tout une dimension chaotique en elle. Un monde intérieur plutôt riche où se battent une personnalité plutôt forte et sûre d’elle et une tonne de doutes, de craintes et de faiblesses, ainsi qu’un concentré de haine, de malhonnêteté, d’instabilité et d’impulsivité. Car Déborah est impulsive, haineuse et violente. Normal, dirait la psychanalyse. Déborah agit toujours témérairement, parfois sur un coup de tête, se foutant bien de l’avenir et des conséquences. Ces moments découlent souvent de pensées noires, fatales. Elle utilise son pouvoir à mauvais escient consciemment, pour tricher ou tourner toute situation à son avantage au dépend des autres. Elle est incapable de se maîtriser, incapable de retenir en elle toutes ses peurs qui deviennent un concentré d’agressivité et de violence. Elle se met facilement en colère, pleure facilement aussi, se reprend vite et monte vite le ton. Dans ces moments-là, son acharnement face à la vie devient rage, rage de vivre, de se surpasser, de se défendre, rage de n’être jamais assez parfaite pour évoluer dans le monde et extrême tristesse et lassitude de n’être autre qu’un petit grain de stable dans le macrocosme...

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